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Catégorie : Science et Découvertes
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Publication : samedi 29 septembre 2018 10:28
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Écrit par Warunek Pawel
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Margaret Hamilton, la femme qui a fait atterrir l’Homme sur la Lune
C’est grâce à une femme que l’Homme a pu marcher sur la Lune. Longtemps méconnue, Margaret Hamilton est à l’origine du succès de la mission Apollo 11, mais aussi du développement des logiciels informatiques.

Margaret Hamilton durant le programme Apollo.• Crédits : NASA
Sans elle, Neil Amstrong et Buzz Aldrin n’auraient sans doute pas marché sur la Lune. Son nom est pourtant resté longtemps méconnu, il a d’ailleurs fallu 47 ans au gouvernement des Etats-Unis pour récompenser Margaret Hamilton de ses services... En aidant à développer les logiciels de la mission Apollo 11, elle a posé les bases de ce que sera l’informatique moderne.
Née le 17 août 1936 dans l’Indiana, Margaret Hamilton se passionne, une fois le lycée terminé, pour les nombres. A 22 ans, elle obtient son diplôme de mathématiques et enseigne rapidement sa discipline. Elle soutient alors son mari alors que ce dernier passe son diplôme de droit à Harvard. Le plan initial était alors de soutenir son époux pendant 3 ans, le temps qu’il obtienne son diplôme et que ce dernier lui rende ensuite la pareil, pour qu’elle puisse se consacrer à l’études des mathématiques fondamentales. Dans une interview pour le site Makers, elle racontait comment les femmes des étudiants en droit étaient censées leur préparer le thé :
Ils souhaitaient que les femmes, moi comprise, leur servent le thé, et j’ai rétorqué à mon mari :“Il est hors de question que je serve du thé. Si je vais à l’école de droit d’Harvard, très bien, j’y ferai ce qu’y font les hommes. Mais je ne serai pas mise dans cette position". Il était très fier de moi, du fait que j’ai pris cette position.
En 1960, alors qu’elle n’a que 24 ans, Margaret Hamilton prend cependant un poste au MIT pour développer des logiciels de prédiction météorologique et se découvre une nouvelle passion. Dès 1961, elle travaille pour le SAGE Project, l’un des premiers systèmes informatiques de défense antimissile, et subit un bizutage un peu particulier :
Ce qu’ils avaient l’habitude de faire, quand vous veniez de débuter dans l’organisation, c’était de vous assigner à un programme que personne n’avait été capable de comprendre et de faire fonctionner. Quand j’ai débuté, ils m’ont mise dessus également. C’était une programmation piégée, et la personne qui l’avait écrite s’était amusée à mettre tous les commentaires en grec et en latin. Donc on m’a assigné à ce programme, et je l’ai finalement fait fonctionner. Il imprimait même ses réponses en latin et en grec. J’étais la première à le faire marcher.
Ses compétences et sa capacité à venir à bout de ce programme font de Margaret Hamilton une candidate idéal pour le rôle de développeur pour la NASA : en 1963, elle est recrutée par le laboratoire Draper du MIT, qui a pour mission de gérer les logiciels du programme Apollo.
Un grand bond pour l’humanité

Margaret Hamilton se tenant auprès du code du logiciel de navigation qu'elle et son équipe ont produit pour le programme Apollo.
•Crédits : Draper Laboratory; restored by Adam Cuerden.
Margaret Hamilton est alors chargée de concevoir le système embarqué du programme Apollo. Elle est tellement passionnée par son travail que pendant ses longues heures de programmation, elle n’hésite pas à emmener sa fille à son bureau. Cette dernière s'amuse parfois avec les simulations créées par sa mère, pendant que cette dernière configure les logiciels de routine qui seront utilisés par le module de la navette :
Je me souviens, je prenais ma fille avec moi la nuit et le week-end. Une fois, elle s’est mise à jouer à l’astronaute et d’un coup le système de simulation a planté. J’ai réalisé qu’elle avait sélectionné PO1 - le programme d’atterrissage - pendant le vol. J’ai commencé à m'inquiéter et à penser à ce qui se passerait si les astronautes faisait ce qu’elle venait de faire. Je suis allée voir la direction pour leur dire qu’il fallait apporter des changement au programme. Ils ont dit : “Ça n’arrivera jamais, nos astronautes sont super entraînés, ils ne font pas d’erreurs”. Lors de la mission suivante, Apollo 8, la même chose est arrivée. PO1 a été sélectionné en plein vol.
Grâce à Hamilton et son équipe, les données de navigation purent être renvoyées à temps au module d’Apollo 8 et sa trajectoire fut corrigée. La jeune programmeuse continue de développer ses logiciels sur les programmes Apollo. Elle parvient notamment à créer un système de priorisation des tâches qui va s'avérer vital à la mission Apollo 11. Le 21 juillet 1969, alors que le module est sur le point d’alunir, de nombreuses alarmes se déclenchent : l’ordinateur de bord souffre d’une surcharge de travail et il est incapable de traiter toutes les données en même temps, comme le racontait Margaret Hamilton dans une lettre, en mars 1971.
L'ordinateur était programmé pour faire mieux que simplement identifier une situation d'erreur. Des programmes de récupération avait été incorporés dans le logiciel qui permettaient d'éliminer les tâches ayant les priorités plus faibles et d’exécuter les plus importantes. Si l'ordinateur n'avait pas reconnu le problème et entrepris ces actions de récupérations, je doute qu'Apollo 11 aurait réussi son atterrissage sur la Lune comme il l'a fait.
“Nous n’avions pas d’autre choix que d’être des pionniers”
Margaret Hamilton, sur un module Apollo. • Crédits : MIT Museum
Après le MIT, Margaret Hamilton co-fonde sa propre entreprise de développement logiciel, Higher Order Software, puis, en 1986, la société Hamilton Technologies, où elle développe son propre langage de programmation.
En 2003, 27 ans après son départ de la NASA, l'agence spatiale lui remet enfin un "Exceptionnal Space Act Award" pour l'ensemble de ses contributions scientifiques et techniques au programme Apollo. Le Dr Paul Corto, qui l'a nommée pour la récompense se déclare "surpris de découvrir qu'elle n'avait jamais été officiellement reconnue pour ses travaux pionniers. Ses concepts de logiciel asynchrone, de programmation des priorités, de tests de bout en bout et de capacité de décision humaine, comme l’affichage des priorités, ont posé les bases de la conception de logiciels ultra-fiables". Non seulement Margaret Hamilton a créé les fondements de ce qu'est l'informatique moderne, mais elle est même à l'origine du nom de sa discipline, le "software engineering", pour "génie logiciel".
Quelques années plus tard, en 2017, elle reçoit la Médaille présidentielle de la liberté, remise par Barack Obama, la plus haute distinction aux Etats-Unis. Elle sort alors un peu plus de l’ombre. Elle n’était pourtant pas la seule femme, parmi les 400 personnes qui travaillaient sur le logiciel Apollo, comme le rappelait le roman Les Figures de l’ombre, de Margot Lee Shetterly, adapté au cinéma en 2016 :
Dans une interview accordée à la NASA, Margaret Hamilton se remémorait les balbutiements de sa profession, au cœur du MIT :
De mon point de vue, l’expérience logicielle elle-même était au moins aussi excitante que les événements qui entouraient notre mission… Il n’y avait pas de seconde chance. Nous le savions. Nous prenions notre travail très au sérieux, beaucoup d’entre nous commençant cette aventure à à peine 20 ans. Trouver des solutions et de nouvelles idées était une aventure. [...] Parce que le logiciel était un mystère, une boîte noire, la direction avait une foi et une confiance totales en nous. Nous devions trouver un chemin, et nous l’avons fait. Quand je regarde en arrière, nous étions les personnes les plus chanceuses au monde : nous n’avions pas d’autre choix que d’être des pionniers.
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Catégorie : Science et Découvertes
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Publication : mercredi 10 août 2016 12:42
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Écrit par Warunek Pawel
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Le télescope Hubble, une merveille de
science qui a frôlé le bide intersidéral
Depuis vingt-six ans, ce télescope développé par la Nasa en partenariat avec l'Agence spatiale européenne immortalise les trous noirs, les explosions d'étoiles et l'expansion de l'univers. Sa durée de vie vient d'être prolongée de cinq ans.
Une photo de la galaxie M82, transmise par Hubble le 23 décembre 2010. (NASA / AFP)
Hubble est trop près de nous –600 km– pour réaliser un selfie potable. En revanche, le télescope mis en orbite il y a vingt-six ans autour de la Terre, reste l'invention humaine qui se rapproche le plus de la machine à voyager dans le temps, capturant avec son objectif des scènes survenues juste après le Big Bang, il y a 13 milliards d'années. Jeudi 23 juin, la Nasa a annoncé le renouvellement pour cinq ans de sa mission. Le photographe le plus cher, le plus doué et le plus aventureux de la galaxie "va mieux que jamais", s'est même félicitée l'agence spatiale américaine (lien en anglais). Pour preuve, il nous faisait découvrir, pas plus tard que vendredi, la beauté d'un amas stellaire du Grand Nuage de Magellan, aux portes de la Voie lactée.

The Large Magellanic Cloud contains star clusters at every stage of evolution
Prévu à l'origine pour fonctionner jusqu'en 2005, Hubble ne devrait pas prendre sa retraite avant 2021. Un exploit de longévité pour cette machine née dans la douleur et maintes fois condamnée à mort. Retour sur la carrière épatante d'une fenêtre sur l'univers.
Du rêve à la réalité : 70 ans de retards à l'allumage
L'idée d'envoyer un télescope dans l'espace pour observer les étoiles a germé dans les années 1920, dans la tête d'un Allemand mordu de Jules Verne,Hermann Oberth. A l'époque, les scientifiques ont bien conscience que l'atmosphère terrestre fait obstacle à l'observation des astres, car il absorbe en grande partie la lumière des étoiles. Mais s'aventurer dans l'espace relève encore de la science-fiction.
Dans les années 1940, l'astrophysicien américain Lyman Spitzer évoque à son tour un projet de grand télescope en orbite. Mais ce n'est que dans les années 1960, en pleine "course à l'espace" contre l'URSS, que la communauté scientifique adhère au projet. Reste un problème de taille : l'argent. Le Congrès américain valide son financement en 1977, mais il ne cesse de revoir son budget à la baisse, forçant les ingénieurs de la Nasa à adapter leurs ambitions. Le miroir du télescope passe ainsi de 3m50 à 2m40. En 1983, ils rebaptisent leur bébé "Hubble" –du nom de l'astronome qui a démontré l'expansion de l'univers– et achèvent sa construction en 1985, très en retard sur le calendrier.
Une navette spatiale doit mettre Hubble en orbite en octobre 1986. Mais le 28 janvier de cette même année, sept personnes sont tuées dans l'explosion de la navette Challenger. En pleine crise, la Nasa annule tous les lancements, celui de Hubble inclus. Le télescope est finalement mis en orbite le 24 avril 1990 –quelques mois après la mort d'Hermann Oberth, qui n'a jamais vu sa prédiction se réaliser–, embarqué à bord de la navette Discovery. A ce stade, le télescope a déjà coûté 1,5 milliard de dollars, pèse 11 tonnes et fait la taille d'un bus scolaire.
Trois ans dans le flou
Après ce lancement réussi, le répit des ingénieurs est de courte durée. Le 20 mai 1990, Hubble transmet à la Terre sa première photo : deux malheureux points blancs, bien plus nets que sur le cliché obtenu depuis un observatoire terrestre, mais largement en dessous de leurs espérances. Gros malaise à l'agence spatiale. "Les mois qui ont suivi le lancement ont été un vrai cauchemar", se souvient Jean Olivier, ancien ingénieur en chef d'Hubble, cité par Nature (en anglais) en 2015. "Nous venions de lancer un télescope dans l'espace, et il pouvait à peine voir. Je me sentais terriblement mal."

Today in history, the First image taken by Hubble's Wide Field Planetary Camera: May 20, 1990: Star Cluster NGC 3532
D'abord convaincu de pouvoir régler le problème depuis la Terre, l'équipe perd le moral quand, en pleine réunion, le responsable de l'équipe Optique du projet tranche : "Vous avez une aberration sphérique [un défaut du système optique], et il n'y a rien que vous puissiez faire", se souvient David Leckrone, un des scientifiques impliqués, cité en 2015 par The Guardian (en anglais). En effet, pour corriger ce défaut, il faut intervenir directement sur les miroirs, lesquels se baladent à 600 km au-dessus de nos têtes.
Pendant de longs mois, l'équipe craint que la Nasa ne mette fin au rêve Hubble. Pourtant, un dispositif correcteur, baptisé Costar ( pour "Corrective optics space telescope axial replacement"), est développé dans le Colorado. Parmi les ingénieurs mobilisés figure John Hetlinger. Pour l'anecdote, cet homme, aujourd'hui retraité, a été découvert en juin 2016 par le grand public pour une reprise décoiffante d'un groupe de métal dans l'émission "America's got talent".
Pour sauver Hubble, sept astronautes embarquent à bord de la navette Endeavour, en 1993. "C'était la première fois que nous essayions de réparer un satellite. Il fallait pour cela que cinq sorties dans l'espace se déroulent sans accrocs", se souvient Edward Weiler, ancien ingénieur en chef. Egalement interrogé par Nature, il prédit, à l'époque, "un taux de réussite de 50%". "Mais tout s'est passé comme prévu. J'avais l'impression d'être dans un rêve", a-t-il raconté.

Today in 1993, Astronauts Jeffrey Hoffman and Story Musgrave installed Wide Field/Planetary Camera 2 on to Hubble.
Un incroyable voyage dans le temps
"Nous étions tous entassés derrière un petit écran, à attendre que la première image arrive. Cela a peut-être pris cinq secondes, mais ça m'a semblé être six heures", raconte l'ingénieur au Guardian. Pour Antonella Nota, scientifique de l'Agence spatiale européenne, citée par le quotidien, "c'est comme si ces trois années de douleur disparaissaient d'un coup". Hubble peut enfin accomplir sa mission et, dès mai 1994, il immortalise le crash de la comète Shoemaker-Levy 9 sur la surface de Jupiter. Quelques jours plus tard, les images qu'il transmet confirment l'existence de trous noirs dans une galaxie voisine, M-87.
D
es photos prises par le télescope Hubble en mai 1994. (Hubblesite.org)
L'année suivante, Hubble prend une photo de la nébuleuse de l'Aigle. Rebaptisée "les piliers de la Création", elle devient l'une des images les plus célèbres de l'espace.
"Les piliers de la Création", photographiés par Hubble, en 1995.
Les découvertes se suivent, tandis que les missions de maintenance se déroulent sans accrocs sur le télescope, en 1997, 1999, 2002 et 2009. Grâce à Hubble, en 2012, des chercheurs de l'université américaine John-Hopkins révèlent être parvenus à remonter le temps jusqu'à il y a 13 milliards d'années, en pointant le télescope vers une zone complètement dépourvue de lumière. "Le télescope a permis, pendant des jours et des jours, de faire un très long temps de pose", expliquait à RFI, Roger-Maurice Bonnet, astrophysicien et directeur des programmes scientifiques de l’Agence spatiale européenne (ESA), interrogé pour le 15e anniversaire du lancement de Hubble. "Dans cette région, noire comme du charbon cosmique, il y avait en fait une énorme quantité de galaxies. Les plus lointaines que l’on puisse observer ! Elles sont si loin qu’elles sont invisibles pour notre œil et pour les télescopes au sol, mais elles ne le sont pas pour les yeux très perçants et très stables de Hubble."
En 2018, le télescope spatial James-Webb, développé conjointement par la Nasa, l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Agence spatiale canadienne (CSA), doit succéder à Hubble. Sa mission : observer l'espace dans l'infrarouge, un rayonnement que son prédécesseur était incapable de capter. Surtout, il doit permettre de remonter jusqu'aux premiers instants qui ont suivi le Big Bang. Une nouvelle mission vers l'infini et au-delà, pour mieux nous raconter l'histoire de notre univers : une aventure qui commence dans une galaxie lointaine, très lointaine.
