Ce chapitre comporte des scènes homo-érotiques et ne s'adresse donc qu'à des adultes ouverts d'esprit.
Le Gouverneur entra dans la demeure, mais je ne pus m'empêcher de m'arrêter devant la façade de la grande maison en bois sculptée, aux toits colorés, que je connaissais trop bien. En fait, je l'avais rarement vue de l'extérieur. J'étais restée la plupart du temps, dans la salle principale, ne sortant qu'en de rares occasions : quelques combats dans de petites arènes, une traque ou deux de fugitifs dans les forêts qui couvraient les flancs de la montagne, rien de plus...
Je restai ainsi devant, le cœur battant, la peur au mon ventre... L'angoisse me paralysait, je n'arrivai pas à faire les quelques pas qui me séparaient de la maison. Lilas m'avait accompagnée dans ce voyage sans retour, c'était la seule esclave que j'avais emmenée. Elle s'arrêta derrière moi. « Vous devez entrer Maîtresse, je suis là, avec vous. » Ses paroles me donnèrent enfin le courage d’entrer à mon tour dans la demeure de mon Maître, Lilas sur mes talons. Je regardai immédiatement le large siège recouvert de fourrures qui trônait sur l'estrade au centre de la pièce ; avec appréhension, je cherchai des yeux une fille ou un garçon assis à côté, enchaîné... Mais il n’y avait heureusement personne, aucunes traces sur le sol, pas même un anneau assujetti au siège pour y passer la laisse... J’avais, sans m’en rendre compte, retenu ma respiration pendant tout ce temps et je me remis brusquement à respirer. Je laissai ensuite mon regard faire le tour de la grande salle : l'âtre au centre pour réchauffer la salle, les peaux de bêtes pour isoler du froid extérieur, les torches pour éclairer la pièce aveugle, les coffres en bois pour décorer et ranger et... la poutre au fond de la salle. Les souvenirs affluèrent : la monotonie des journées passées, assises à ne rien faire, morte de froid, le collier de métal mordant ma chair, la violence des mises à mort expéditives ordonnées par mon maître, la dureté des combats qu'il organisait, la douleur des châtiments qu'il m'infligeait... Je fis encore quelques pas, essayant de rester calme, m’obligeant à passer outre ces atroces sensations. Je n’étais pas Louve ici et, d’ailleurs, à bien y regarder, la pièce était curieusement différente de celle que j'avais connue, non pas dans son agencement, mais dans l'atmosphère qu'il s’en dégageait ; une certaine quiétude, douceur même, y régnait aujourd’hui.
Solko fit un geste circulaire :
« Voici la salle d'où je gouverne ces terres, affirma-t-il fièrement. J'y rends la justice -sommairement, pensai-je-, j'y reçois les émissaires... » Il me regarda. « Bien sûr, cela n'a rien à voir avec la villa de vos parents, ajouta-t-il d'un air un peu déconfit devant mon manque d'enthousiasme. Le temps est froid ici, les ouvertures sont réduites au maximum. Je vais vous montrer votre chambre Dame Livia. Elle est derrière. » Il traversa la pièce et passa la porte située au fond : un petit couloir en partait et desservait trois pièces. Il ouvrit une des portes : « Vos affaires y ont déjà été déposées. » J'y pénétrai. La chambre était de taille modeste : un grand lit, une table, un fauteuil et un coffre la composaient. « Votre esclave pourra coucher au pied de votre lit, ajouta-t-il en se tournant vers moi.
--- Gouverneur, comme il vous plaira, » me forçai-je à lui répondre avec déférence.
--- Reposez-vous, Dame Livia. Le voyage a été épuisant. » Il sortit mais ajouta sur le seuil. « Je vous envoie Sestane. Elle s'occupe de cette demeure. »
Je fermai la porte derrière lui, tout de même soulagée d’être enfin seule, après la promiscuité engendrée par ce long voyage depuis la Gaellie. Pourtant, au cours de celui-ci, j'avais commencé à m'habituer à cet homme, à sa présence... Et, dans quelques jours, je me marierais avec lui, sur ses terres. Je m'allongeai sur le lit, fatiguée, repensant à tout ce qui s'était passé depuis l'annonce du mariage, depuis que j'avais compris que je ne pourrais pas y échapper.
En fait, tout s'était enchaîné très vite. Il y avait tout d'abord eu une cérémonie d'engagement qui avait fait office de mariage pour ma famille ; elle ne ferait pas le voyage trop éprouvant pour la Squilésie... Puis était venu le départ pour les terres de mon Maître. J'avais donc fait mes adieux aux quelques amis qui étaient venus -adieux difficiles car je n'avais aucune idée de ce que nous partagions et je les avais abrégés de manière un peu impolie-, au Magister Oleef et à l’entraîneur Lenko, à mon frère et mes sœurs, à mes parents... Je les avais à peine connus, mais j'avais eu du mal à les quitter, la gorge serrée, terrifiée par ce qui m'attendait. J'étais partie avec Lilas et de nombreuses malles : des vêtements essentiellement, mais aussi des bijoux, des produits de toilette et de maquillage, des livres, du matériel d'écriture... La dote négociée entre mon père et le Gouverneur suivrait plus tard, je ne savais pas trop et je m'en fichais d'ailleurs.
Le voyage avait été difficile ; nous avions cheminé lentement sur de petites sentiers escarpés, longue caravane composée de chariots cahotant difficilement ; j'avais voyagé dans la voiture du Gouverneur, plus confortable que les autres, en sa seule compagnie. L'angoisse m'avait étreinte lorsqu'il m'avait proposé de monter avec lui, seule, à sa merci ; je n'avais pu refuser, j'avais pris le bras qu'il me tendait et avait grimpé dans l'habitacle couvert, le cœur battant, luttant contre mon envie de m'enfuir. Pourtant, à ma grande surprise, le Gouverneur avait discuté avec moi, de tout et de rien, avec amabilité malgré mon mutisme des premiers jours ; il avait été gentil et prévenant lors de ce voyage, ménageant de nombreuses poses, faisant préparer des repas chauds malgré les conditions difficiles, distribuant des fourrures pour qu’Iris et moi puissions nous protéger du froid... Cet homme s'était révélé bien différent de celui que Louve avait connu et haï. Lilas avait quant à elle pris place dans un chariot avec les esclaves du Gouverneur et avait été bien traitée. Les températures s'étaient rafraîchies à mesure que nous nous étions rapprochés des Terres Squilésiennes, situées en altitude, au cœur des montagnes Brumeuses. A présent, il faisait vraiment froid, bien que ce ne fût encore que l'automne.
Les malles avaient été déposées dans la pièce et Lilas se mit à les ouvrir.
« Tu mettras de l’ordre dans tout cela plus tard, lui dis-je. Tu dois être fatiguée, repose-toi. » Elle me sourit.
« Comment allez-vous, Maîtresse ? Les souvenirs ne sont-ils pas trop durs ? » Elle était devenue étonnamment clairvoyante et lisait désormais en moi comme dans un livre ouvert... Elle savait me réconforter d'un geste, d'un mot. Nous étions devenues très proches : ce n'était pas -bien malgré moi- de l'amour entre nous, mais une intense complicité...
« Ca va, » lui répondis-je avec un sourire. On frappa alors à la porte.
« Entrez ! » dis-je d'une voix forte, ayant remis de l’ordre dans ma tenue et ma coiffure. Une femme entra, assez âgée, les cheveux blancs attachés en un chignon lâche. Elle avait un visage fin avec de hautes pommettes et des yeux d'un bleu intense comme tous les habitants ou presque de ces terres.
« Je suis Sestane, Dame. Souhaitez-vous un bain ?
--- Oh ! Oui, si cela est possible. » Elle me regarda d'un air las.
« Cela est évidemment possible, sinon je ne vous aurais pas fait cette proposition, Dame. Suivez-moi ! » Sestane n’avait pas l’air commode et Livia n’aurait probablement pas toléré cette remarque... Je n’osais pour ma part rien dire, je savais que mon comportement n’était pas celui d’une patricienne Gaelle, mais il m'était difficile de m'imposer. Elle nous conduisit dans un bâtiment extérieur, et je reconnus immédiatement les bains où Lilas m'emmenait trois fois par jour. La femme nous y laissa, nous expliquant que l'eau venait d'être préparée pour moi. Quand j'étais Louve, l'eau était toujours froide, voire glacée. Mais aujourd'hui, une épaisse couche de vapeur flottait au-dessus du bassin, envahissait la pièce aux murs de bois. Je glissai un pied dedans : température idéale. Je regardai Lilas, souriante.
« Quand j'étais esclave auprès du Gouverneur, tu... Lilas m'emmenait souvent ici, pour me laver ou me soigner. » Je la repoussai contre le mur, mon visage contre le sien. « C'est là qu'on s'est si souvent embrassées. » En écho, mes lèvres écrasèrent les siennes. Iris accepta mon baiser, mais repoussa mes mains qui couraient sur sa peau, descendaient sur son ventre. Elle se dégagea.
« J’espère être votre amie, Maîtresse... Mais je ne veux pas être votre amante... Je suis... désolée. » Je me redressai.
« Bien sûr... » Je me retournai, enlevai mes vêtements à la hâte et me glissai dans l'eau tiède, laissant mon corps se réchauffer lentement et mon esprit accepter son refus.
« Je vous ai blessée, Maîtresse, je le vois.
--- Mais non. » Je me forçai à lui sourire. « L'eau est délicieuse... Je vais y rester un peu pour... » Je ne pus finir ma phrase, les larmes me montaient aux yeux. Je baissai la tête, attendant qu'elle sorte. J'avais eu l'espoir de parvenir à faire changer d'avis Iris, à la faire m'aimer comme Lilas... Mais cela semblait décidément impossible. Je me demandai soudain si Lilas m'avait jamais aimée... Peut-être n'avait-elle éprouvé que de la pitié pour moi ? Peut-être n’avais-je qu’imaginé cet amour... Cette pensée me terrifia.
***
Solko me convia à sa table pour le repas du soir. J'enfilai une robe parmi les plus chaudes que j’avais emportées, mais, malgré cela, je grelottai encore ! Je me demandai comment j’avais pu supporter de rester nue par cette température... Je n’avais tout simplement pas eu le choix !
J’entrai dans la vaste pièce où une table avait été dressée. En me voyant, Solko vint à ma rencontre. « Dame Livia ! » Il me dévora des yeux. « Vous êtes vraiment magnifique, » ajouta-t-il. Je vais vous présenter, » continua le Gouverneur. Il s’approcha d’un homme qui avait des trait assez proches des siens. « Voici, Jenlok, mon frère. » Celui-ci fit une petite révérence moqueuse, je m’inclinai quant à moi de manière plus cérémonieuse. Puis il désigna une femme qui se tenait à ses côtés : « ... et Loenia, son épouse. » Un peu en retrait se tenait une jeune fille blonde également, aux yeux de chat, portant une tunique faite de pièces de fourrure grise assemblées avec goût. « Svihlde, ma nièce, la fille de ma défunte sœur. Elle vit désormais ici avec moi. » La jeune fille d’une quinzaine d'années s’inclina et j’en fis de même.
Nous prîmes place autour de la table, et des plats fumants furent apportés par une esclave. Je me souvenais des repas lorsque j’étais Louve : mon Maître me jetai la nourriture, c’était tout ce à quoi j’avais droit au cours de la journée... Je devais me battre avec les chiens pour la prendre. Là aussi, il y avait quatre grands chiens courants qui tournaient autour de nous et Solko leur lançait de temps en temps de la nourriture sur laquelle les bêtes se jetaient littéralement. Cela fit rire ma voisine, Svihlde :
« On dirait qu’ils n’ont rien mangé depuis des jours !
--- Ils ont été nourris ? demandai-je, étonnée.
--- Bien sûr, ils ont eu leur pâtée, me répondit-elle comme si cela allait de soi. « Mais ce sont des goinfres. » Elle caressa un des chiens, qui lui lécha la main en retour. Ils étaient mieux traités que je ne l’avais été... Tout était si différent.
Le repas fut chaleureux, les mets succulents, ce que je m’empressai de dire.
« La cuisine ne ressemble en rien à celle de Gaellie pourtant, dit Jenlok.
--- Vous avez raison, admis-je, elle n’en est pas moins délicieuse.
--- Je croyais que les patriciens Gaelles n’appréciaient que ce qui venait de chez eux... » Je fus troublée par ses propos, peu diplomates. D’ailleurs, Solko intervint rapidement.
« Jenlok, voyons... Tu pourrais épargner tes taquineries de mauvais goût à ma futur épouse. Elle vient juste d’arriver et n’a pas encore le plaisir de te connaître. » L’homme ouvrit la bouche pour répondre mais le Gouverneur lui intima le silence d’un geste péremptoire. Jenlok se tut, mais s’assombrit, visiblement vexé par l’attitude de son frère. Il ne prononça plus un mot de tout le repas, qui se termina d’ailleurs tôt, nous étions fatigués de notre voyage.
***
Je retrouvai Iris dans la chambre. Elle me prépara comme à l'accoutumé pour la nuit, démaquillant ma peau, brossant mes cheveux lentement.
« Maîtresse ? » Il n'y avait pas de miroir dans cette chambre, je me retournai donc pour la regarder. « Ce n'est pas moi que vous aimez, Maîtresse, c'est Lilas... Je ne suis pas Lilas, vous n’êtes pas Louve.
--- Oui, Iris, je sais. Mais te voir ainsi dans les bains... je... tu es si semblable à elle. Excuse-moi ! » Je lui pris la main doucement mais la jeune femme la dégagea et reprit son travail. « Mais, je t’aimerai toujours, Lilas... Iris, toujours ! Je suis à toi, à jamais... Si un jour tes sentiments...
--- Je ne peux pas Maîtresse, vous devriez le comprendre, m’interrompit-elle brusquement.
--- Mais il n’y a pas à vouloir ou à pouvoir... L’amour... Il s’impose à nous, on ne choisit pas !
--- Voyons, Maîtresse, vous savez bien qu’on n’est pas aussi libre que ça ! Vous êtes une Patricienne Gaelle, je suis votre esclave, c’est tout à fait impossible entre nous !
--- Alors j’ai le droit d’abuser de toi, mais pas de t’aimer, c’est ça ?
--- En fait, c’est plutôt moi qui n’ai pas le droit de vous aimer, Maîtresse. Si vous ne le savez pas, Dame Livia le sait.
--- Mais je me fiche bien de Dame Livia ! m’écriai-je, un peu trop fort probablement.
--- Pas moi, Maîtresse. » Elle s’interrompit un instant avant de reprendre. « Vous m’avez dit qu’un Être Surnaturel vous avait donné une seconde chance, une chance de changer votre destin. Alors... après, vous partirez, et Dame Livia reprendra sa place dans son corps... Et moi ? Mon amour aura disparu... Je devrais tout oublier, rester avec Dame Livia, alors que j’aurais sous les yeux l’image de la seule femme qui m’aura aimée, que j’aurai aimée. » Elle fit le tour pour me regarder. « Je n’aime pas Dame Livia, elle... » Des sanglots secouèrent sa voix l’empêchant de poursuivre. J’avais enfin compris, j’étais toujours aussi lente... Je l’enlaçai tendrement.
« Excuse-moi, je n’ai pensé qu’à moi et à mes problèmes... » Avais-je jamais réfléchi à tout ça du point de vu d’Iris ? Non, bien sûr. « J'ai compris, n'aies crainte Iris, j'ai compris... » répétai-je comme pour me convaincre moi-même. « Je resterai ton amie, seulement ton amie... lui dis-je doucement à l’oreille. Même si ça me fait un mal de chien, même si j’ai envie de toi à en souffrir... » terminai-je mentalement. Elle avait raison, il ne fallait pas.
J’avais mal mais en même temps, j’étais heureuse d'avoir compris pourquoi elle ne voulait pas m'aimer. Étrange sensation.
***
J’avais donné mon lourd édredon à Iris qui n’avait qu’une fourrure pour dormir sur le sol dur et froid. Les couvertures qui restaient n'étaient pas suffisantes, et j'eus du mal à trouver le sommeil. Dans mon lit, les yeux grands ouverts, je ne pus m’empêcher de repenser à ma vie en tant que Louve, ici, dans cette même demeure. Heureusement, la fatigue aidant, je finis tout de même par m’endormir, mais les souvenirs revinrent à la charge, se transformant en cauchemars atroces. Je me réveillai en hurlant, en sueur malgré le froid... Iris était assise sur le bord du lit, à côté de moi.
« Maîtresse, vous avez fait un cauchemar...
--- Oui, répondis-je le souffle court, des frissons parcourant ma peau moite. Rien de plus.
--- Je peux...
--- Non, l’interrompis-je, recouche-toi. Je vais faire un tour pour reprendre mes esprits. » J'allai dans la salle, vide et sombre, cherchant à retrouver mon calme. Je respirai lentement, profondément, mais, l’effet du cauchemar se dissipant, je me mis à trembler de froid. Je revins donc rapidement vers la chambre, et trouvai Iris dans le couloir, une lourde fourrure à la main. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour me la placer sur les épaules et nos visages se retrouvèrent tout proches. Je sentis son parfum, sa respiration douce, je vis ses yeux verts pétiller, malgré la pénombre. Et, soudain, sans prévenir, Iris m’embrassa, puis se recula immédiatement après, avec un air de gamine prise sur le fait. Je passai ma langue sur mes lèvres pour la goûter... Mon cœur s’était accéléré. Je ne savais que faire. L’embrasser à mon tour -j’en mourais d’envie-, mais elle venait de me faire comprendre que c’était une très mauvaise idée. Je n’eus pas le loisir de réfléchir davantage car Iris me donna un autre baiser, plus long, plus profond. Elle me prit ensuite la main et m’entraîna vers la chambre dont elle referma la porte à clé. Elle y avait allumé une bougie qui diffusait une faible lueur. La jeune esclave enleva, malgré le froid, sa chemise de nuit et délaça le col de la mienne qu'elle fit ensuite glisser lentement sur mes épaules. Elle la laissa tomber au sol. Je la fixai, ne pouvant détacher mes yeux de son corps parfait qui se découpait dans la pénombre, silhouette noire sur fond doré. J’admirai le galbe de sa poitrine, la rondeur de ses fesses, la ligne de son ventre... Je fis glisser mes mains sur sa peau douce, puis lui demandai :
« Tu es sure de vouloir faire ça avec moi ?
--- Tu as raison Louve, on ne peut aller contre l’amour.
--- Louve ? C’est la première fois que...
--- C’est toi, Louve, que j’aime... J’ai décidé de profiter de ma chance, de toi, tant que tu seras là, avec moi, dans le corps de Dame Livia. Demain est un autre jour, » conclut-elle en m’embrassant à pleine bouche.
J’en avais rêvé si longtemps, je n’avais même fait que ça. Louve connaissait le sexe avec les hommes, mais pas le plaisir. Et j’eus soudain peur, terriblement peur : et si... et si je n’arrivais pas à aimer Iris ? Je n’avais jamais fait l’amour, cet acte librement consenti entre deux partenaires, je n’avais jamais été avec une femme non plus. J’attendais tant de ce moment, je le voulais tellement parfait que l'angoisse me fit perdre mes moyens, mon assurance. Je restai ainsi devant Iris, les bras ballants, incapable de faire quoi que ce soit. Alors, ce fut elle qui prit les choses en main. Elle me repoussa sur le lit et je m’y affalai. Elle grimpa dessus et se mit à califourchon sur moi, dominatrice. Elle posa ses mains de part et d’autre de mon visage et se pencha : ses seins me caressèrent doucement, son sexe doux et tiède glissa sur mon ventre. Une onde de plaisir me parcourut. Je sentis les lèvres douces de mon amante m'effleurer, je m'enivrai de son parfum, de son odeur sucrée, j’entendis son cœur battre trop vite, tout comme le mien. Les choses devinrent alors simples, évidentes, naturelles. Je savais évidemment donner du plaisir à Iris, à son corps féminin. Je voulus la renverser sur le lit, mais elle résista et continua à l’envie ses caresses. Je ne pus retenir un gémissement rauque, fait de plaisir intense et de douleur. Elle m’avait rendue dépendante, fébrile, esclave de son corps, de ses mains, de ses lèvres... Mais elle n’abrégea pas mes souffrances. Je n’avais plus qu’une envie, celle de m’abandonner entièrement, de la sentir davantage en moi... Iris s’allongea ensuite à mes côtés et fit courir ses mains douces le long de mon ventre, atteignit ma toison brune, ma fente offerte. Dame Livia était vierge, je m’en rendis compte lorsqu’Iris me pénétra enfin avec ses doigts minces, sortant, rentrant, doucement, rapidement... jusqu’à la délivrance, un orgasme puissant qui déforma mon corps, tordit mes membres. Je savourais quelques instants mon plaisir, les yeux dans le vague.
« J’avais rêvé de ce moment si souvent, » murmurai-je. Nous étions enlacées, nos respirations à l’unisson, nos corps moites collés l’un à l’autre. « Merci Lilas, merci pour ce cadeau, pour cette étreinte...
--- Tout le plaisir était pour moi, me répondit-elle. Appelle-moi Iris, je préfère.
--- Évidemment, pardon...
--- Cessez de vous excuser, Maîtresse, vous avez mieux à faire ! » me reprit-elle sur un ton faussement sévère. J’éclatai de rire, mais elle me fit taire en posant son index sur mes lèvres, je faisais trop de bruit dans la maison silencieuse.
J'attrapai son doigt, l'embrassai, puis laissai mes lèvres se refermer autour. Je le suçai doucement et la sentis frissonner à ce contact. Je cherchai son regard du mien, le trouvai, le retins prisonnier. J’avais tellement envie d’elle, une envie si forte que je dus me contrôler pour ne pas aller trop vite, pour rester douce... Je n’étais pas douce... Louve n’était pas douce. J’avais été élevée dans la brutalité, la bestialité même, et tout en moi respirai cette façon d’être. Livia non plus n'était pas douce, je le savais intimement. Pourtant, je voulais donner du plaisir à Lilas... Iris, je ne voulais surtout pas lui faire mal. J’embrassai alors délicatement chaque zone de son corps, faisant de mon mieux pour faire monter lentement son désir. Je la sentis se cambrer, tressaillir sous mes baisers, mes caresses, mon regard toujours plongé dans le sien... Iris était dangereuse... Avec elle, j’oubliai tout, mes vies, mes fêlures, mes souffrances, mon avenir chaotique... Elle sourit, attrapa mes lèvres d’un baiser et je perdis le contact avec ses yeux. Allongée, les yeux clos, elle était plus que belle, elle était magnifique, sublime... Je la pris dans mes bras, tendrement, comme pour la bercer. Elle replia ses jambes, s’offrant ainsi à moi, sans retenue, sans crainte. Je caressai lentement son intimité, la laissant s’habituer à mes mains. Puis, quand elle fut prête, j’y plongeai avec délectation mes doigts qui se couvrirent de son musc intime ; je les laissai la découvrir, la parcourir : je la sentis trembler dans mes bras, atteindre les limites insupportables du plaisir. Et son corps s’arc-bouta à plusieurs reprises, traversé par l’orgasme. Elle s'allongea sur le lit et je me couchai près d’elle. Elle m’embrassa, souriante.
« Je ne m’étais pas attendue à ça ! » Elle m’embrassa encore. « Je n’aurais pas dû attendre si longtemps avant de suivre mes envies. »
Comblée, j'attrapai l'édredon et nous en couvris : maintenant que l'excitation retombait, le froid s'insinuait en nous et nous nous pelotonnâmes dessous, Iris blottie dans mes bras.
Je passai une bonne partie de la nuit à la regarder, incapable de dormir, un sourire béat sur les lèvres. Je n'avais jamais été aussi heureuse, aussi bien... et ce dans la maison même de mon Maître. C'était difficile à comprendre.
***
La nuit fut douce, si douce... Pourtant, au matin, ma joie s'estompa un peu et la peur, cette compagne affectueuse, revint me tarauder... Peur des autres et de leur regard, de leur jugement, peur d'être surprise avec Lilas ou de faire un faux pas... En Gaellie, baiser une de ses esclaves était tout à fait fréquent, voire obligatoire, de même qu'avoir des amants du même sexe... pour un homme. Les choses étaient souvent différentes pour une femme ! Et ici, en Squilésie, je ne savais même pas ce qui était toléré, ce qui ne l’était pas... Il était donc évident que nous devions être très prudentes.
Quand Iris se réveilla, elle m'enlaça et m'embrassa, dissipant immédiatement mes peurs... Elle avait ce pouvoir-là ! Lorsqu'elle me prépara pour la journée, je ne pus m'empêcher de la caresser, de l'embrasser, de la chatouiller, rendant son travail difficile.
« Louve ! S'il-te-plaît ! » finit-elle par s'énerver. Cela me fit sourire, mais je la laissai terminer tranquillement.
Iris se surpassa ce matin-là et parvint à faire de moi une authentique patricienne Gaelle, khôl autour des yeux, coiffure alambiquée, parfum ambré... La jeune esclave dut ensuite me laisser car Sestane avait bien des choses à lui faire faire.
J'étais sur un petit nuage lorsque je rejoignis le Gouverneur Solko, dans la salle, tôt le matin.
« Vous êtes superbe, Dame Livia.
--- Merci, Gouverneur Solko.
--- Avez-vous bien dormi ?
--- Merveilleusement, oui, merci, » répondis-je avec un grand sourire. J’étais totalement incapable de l’effacer de mes lèvres.
--- Le mariage est dans une semaine, Dame : Sestane vous aidera à vous y préparer. Elle vous expliquera aussi comment vous occuper de cette demeure, quand vous serez mon épouse. » Je hochai la tête redescendant brusquement sur Terre. « Pourrai-je... Accepteriez-vous de m'aider dans une tâche délicate ?
--- Bien sûr, si je le peux Gouverneur.
--- Je le crois, oui. Voilà... Il s'agit de Svihlde. Elle a presque votre âge, je pense qu'elle vous écoutera plus que moi. Elle a une vision très... romantique de la vie, vous voyez ? Elle refuse d'épouser tous les partis que je lui présente. Elle veut être amoureuse pour se marier !
--- Vous ne pouvez l’en blâmer, c'est normal, non ?
--- Oui, bien-sûr, mais c'est ma seule héritière pour l’instant -allusion probable à mon rôle-, elle ne peut faire comme elle l'entend... C'est ce que j'aimerais que vous lui expliquiez.
--- Je vais essayer.
--- Vous n'avez pas fait ce que vous désiriez, ajouta-t-il en me regardant.
--- J'ai obéi à mon père.
--- C'est cela. Dites-le lui. »
***
Svihlde était une gamine... Nous avions presque le même âge, mais elle vivait dans son monde à elle, peuplé des héros des livres qu’elle dévorait, des créatures majestueuses et fantastiques qui les peuplaient... « Avez-vous lu les aventures de Parmindrol, le héros malheureux ? » Je pris le rouleau qu’elle me tendait et parcourus rapidement les premières lignes qui me plurent immédiatement. Je n'avais jamais lu de livres et j’aurais aimé essayer... Mais ce livre, Dame Livia l’avait-elle lu ? Peut-être, même si je ne la pensais pas très intéressée par ces âneries romantiques.
« Non, » répondis-je laconiquement. J’avais envie de m’acquitter de cette tache rapidement, je n’avais guère de choses à dire à Svihlde. Elle poussa un soupir.
« Dommage... C’est mon oncle qui vous envoie, c’est ça ?
« Oui. » Elle tourna un regard terne vers moi.
« Je me disais bien aussi que quelqu’un comme vous ne pouvait s’intéresser à quelqu’un comme moi. » Quelqu’un comme vous, quelqu’un comme moi... Que voulait-elle dire ?
« Il m’a demandé de...
--- Me faire la leçon, » me coupa-t-elle impoliment, avant de mettre sa main sur la bouche et de bafouiller des excuses pour sa grossièreté. Elle avait un comportement qui me semblait vraiment étrange. « Pardon, mon oncle me dit de réfléchir avant de parler. » La phrase que Lilas me serinait, je souris, et ne pus m'empêcher de penser à Iris, pensées assez osées en fait. Les yeux bleus de Svihlde pétillèrent un instant, avant de ternir à nouveau.
« Je vous écoute, Dame Livia, » dit-elle en s’asseyant sagement sur un fauteuil. J’en fis de même, en face d’elle.
« Votre oncle aimerait que vous compreniez que la vie n’est pas toujours comme on le souhaite.
--- Oui, il m’a dit que j’avais des devoirs. J’imagine que, vous non plus, vous n’avez pas fait ce que vous vouliez, n’est-ce-pas ?
--- J’ai obéi à mon père.
--- Oui, bien sûr. Vous lui direz que je ferai ce qu’il veut. » Je me levai, un peu étonnée de l'avoir convaincue si vite. Je n’avais rien d’autre à ajouter, mais Svihlde m’arrêta. « S’il-vous-plaît ! Restez un peu avec moi, je suis si seule ici. Mon oncle est gentil mais je ne peux évidemment pas parler de tout avec lui, et il n’y a personne d’autre. » Je sus immédiatement que c’était faux, qu’il y avait une autre personne, une personne qui comptait beaucoup pour elle, mais qu’elle n’avait probablement pas le droit de voir, un garçon du village peut être. Je me rassis.
« Si vous le souhaitez, Svihlde. » La jeune fille était un petit moulin à paroles ; pourtant, elle ne me dit rien pendant quelques secondes, silence un peu embarrassant que je rompis : « Que vouliez-vous dire tout à l’heure par « Quelqu’un comme vous ne peut pas s’intéresser à quelqu’un comme moi » ? Qu’est-ce que c’est quelqu’un comme moi ?
--- Oh ! C'est juste que j’ai entendu tant de choses sur vous avant votre arrivée ! Vous êtes une Dame, une véritable patricienne Gaelle, je n’en avais jamais rencontrée... Et puis on m'avait vanté votre beauté. Vos tatouages sont vraiment impressionnants, j’aime beaucoup !
--- Tous les Gaels en portent.
--- Oui, c'est ce que j'ai compris. On m’avait aussi dit que vous étiez une athlète.
--- J’ai gagné des trucs sans grand intérêt. » J'avais aimé les après-midi d'entraînement avec Lenko, mais pas vraiment ces tournois sportifs, affrontements sans intérêts à mon avis ; juste une affaire d’ego ! Bien sûr, c’était mieux que les jeux d'arènes...
« Vous êtes modeste. C'est plutôt rare chez les Gaels. » ajouta-t-elle. C'était la deuxième fois que les Gaels étaient ainsi critiqués !
« Jenlok a dit quelque chose de semblable sur mon peuple. Pourquoi ?
--- Oh ! Vous êtes un grand peuple, vous régnez sur un immense empire et vous savez que vous êtes très puissants... Ça vous rend un peu... arrogant, sans vous offenser Dame.
--- Aucunes offenses, répondis-je en soupirant.
--- Vous avez laissé quelqu’un en Gaellie ? me demanda-t-elle soudain.
--- Non, » répondis-je. Je l’ai emmenée avec moi, continuai-je mentalement. « Vous m'avez menti. » La jeune fille blonde sursauta et secoua la tête.
« Non, Dame. Jamais je ne vous mentirai ! » Je lui souris et effleurai sa main. « Vous n'êtes pas seule, ici. Je suis là, pour vous, si vous le désirez. » Elle s'accrocha alors à mon cou, comme une gamine.
« Merci ! » Pourquoi ne lui avais-je pas dit que je savais qu'il y avait quelqu'un qui comptait beaucoup pour elle ? J'avais mes secrets, je lui laissai les siens.
« Accepteriez-vous de me prêter un de vos livres ? J'aimerais... » Je ne m'étais pas attendu à sa réaction. Elle déballa une bonne partie de ses rouleaux et entreprit de m'expliquer les grandes lignes des histoires, décrivant les personnages principaux, les situations, les enjeux, les créatures ou les dieux présents... Cela prit un temps fou, mais sembla lui faire tant plaisir. Je repartis la tête pleine de ses histoires, les bras chargés de romans. Je me demandais si j'aurais jamais le temps de tout lire...
***
Je fus ensuite accaparée par Sestane qui vint me chercher dans ma chambre, un pli sévère aux lèvres.
« Dame Livia ? Vous avez de nombreuses obligations, si vous voulez bien me suivre... » Ce n'était pas une invitation mais bien un ordre, accompagné d'une remontrance. Je la suivis sans protester.
Ce fut d'abord ma garde-robe qui nous préoccupa. Enfin, préoccuper est un grand mot : mon esprit n'arrêtait pas de vagabonder, passant des lèvres de Lilas à ses yeux, du parfum de Lilas à sa peau douce, des cheveux dorés de Lilas à sa toison intime... Je dus me morigéner intérieurement pour reporter mon attention sur les tissus posés sur la table devant moi. Tout ce que j'avais apporté de Gaellie était bien trop léger pour le temps froid des hautes Montagnes Brumeuses, et il me fallait de nouveaux vêtements, chauds. Lorsque j'eus fait mon choix parmi les étoffes de qualités et de couleurs différentes, deux couturières prirent mes mesures pour me confectionner toute une série de robes et de manteaux, dont celle que je porterais le jour du mariage. Cette robe serait bleu pâle, agrémentée de fourrure rare de zibeline blanche, hors de prix : rien n'était trop beau pour le mariage du Gouverneur.
Puis je dus m'occuper du banquet qui suivrait la cérémonie du mariage : une cinquantaine de personnes étaient invitées au mariage, mais tous les habitants du village situés en contrebas seraient aussi associés aux festivités.
« Tout le monde fera la fête ?
--- Oui, Dame, » répondit Sestane. La vieille femme grimaça, sans doute pensait-elle que ce commentaire était typique d'une patricienne Gaelle. Ce n'était évidemment pas ça... Durant toutes les années où j'étais restée prisonnière de mon Maître, aucun villageois n'avait jamais été associé à de quelconques festivités, qui n'avaient pourtant pas manqué. La tâche qui m'incombait me plut énormément : je devais goûter les plats pour dire ceux qui me plaisaient et éliminer les autres. Les cuisiniers s'affairaient depuis déjà plusieurs semaines et les mets proposés étaient tous fabuleux. J'eus finalement beaucoup de mal à faire un choix.
Enfin, Sestane me demanda ce que je souhaitais faire pour les esclaves. Avais-je l’intention de les faire profiter des festivités ? Je la regardai. Sestane n'était pas une esclave, je n'arrivais pas à savoir ce qu'elle pensait. Je tentai de garder une voix neutre pour lui répondre, bien que le sort des esclaves fut, évidemment, un sujet qui me touchait beaucoup.
« Je... » Je déglutis difficilement. « J'aimerais que ce soit un jour de fête pour tous, y compris pour les esclaves.
--- Que souhaitez-vous exactement ? me demanda-t-elle assez sèchement.
--- Je... Le Gouverneur...
--- Vous laisse entièrement libre de faire ce que vous souhaitez, il... il vous laisse entièrement libre de gérer cette demeure comme vous l'entendez, Dame.
--- Bien. » Je m'éclaircis la voix et poursuivis : « Les esclaves prépareront le banquet, serviront les invités, s'occuperont de distribuer les plats aux villageois... Enfin, comme d'habitude. » Je vis Sestane se lever. « Asseyez-vous, Sestane, je n'ai pas fini ! » Elle me regarda, étonnée par mon ton et se rassit lentement.
« Dame.
--- Vous ferez en sorte qu'ils aient également un repas amélioré... » Je réfléchissais le plus vite possible : qu'est-ce qui m'aurait fait plaisir, qu'est-ce qui aurait fait plaisir à Louve, il y avait encore peu ? Bien bouffer, dormir dans un bon lit, être bien traitée, comme un être humain, pour une fois... Des choses très simples en fait. « Du temps pour faire le rangement, le lendemain, » rajoutai-je. Elle haussa un sourcil réprobateur et je poursuivis : « Je veux qu'ils puissent se reposer après la réception.
--- Se reposer ? Mais, Dame, ce sont des esclaves, ils...
--- Des êtres humains, oui. Ils travailleront puis se reposeront.
--- C'est impossible ! La salle principale ne peut être en désordre lorsque le Gouverneur s'y rendra le lendemain.
--- Je lui expliquerai, n'ayez crainte. » Sa bouche se pinça. Elle n'ajouta rien, visiblement contrariée. « Puis-je, Dame Livia ? » me demanda-t-elle cérémonieusement. Je hochai simplement la tête pour l'autoriser à partir. Je n'avais pas eu d'autres idées sur le coup , mais j'avais bien l'intention de rendre leur vie un peu plus... agréable n'était pas le mot qui convenait évidemment, juste un peu moins dure...
***
Je fus plus que contente de retrouver ma chambre après un repas animé essentiellement par Svihlde qui n'avait pas arrêté de parler, de rire... Solko avait semblé content de la voir se comporter ainsi, moi aussi d'ailleurs. Jenlok et son épouse avaient quant à eux regagné, dans la matinée, leur demeure, peu éloignée.
Je rentrai dans la chambre où Iris m’attendait. Seules dans la petite pièce, nous ne parlâmes pas. Je l'enlaçai précipitamment, la respiration courte et saccadée. J'avais pensé à elle toute la journée, j'avais tellement envie d'elle ! Je l'embrassai passionnément, longuement.
« Eh ! Doucement Louve ! » finit-elle par me dire en me repoussant, hors d'haleine. « Laisse-moi respirer quand même. » La pause que je lui accordai fut courte. Je passai à nouveau mes bras sur ses épaules, l'enveloppant doucement, caressant ses cheveux, je l'embrassai, ma langue cherchant la sienne avec avidité.
Nous ne dormîmes pas... Malgré la température, la nuit fut torride. Nous mélangeâmes nos corps, nos doigts, nos lèvres, nos langues, cherchant toutes deux le plaisir de l'autre... J'eus peur de me consumer entièrement sur ce lit, tant les caresses d'Iris furent merveilleuses...
***
Les jours qui suivirent se ressemblèrent beaucoup et furent bien occupés : Iris devaient travailler avec les autres esclaves de la maison du Gouverneur à la préparation de la soirée ainsi qu’aux tâches ménagères habituelles ; Sestane ne lui laissait guère de temps. Je dus quant à moi subir la vieille femme et ses remarques parfois désobligeantes, lors de l’organisation des festivités. Svihlde me harcelait pour savoir si j'avais aimé ses livres -je n'en avais pas commencé un seul, j'avais mieux à faire le soir!-. Je ne voyais le Gouverneur qu’au souper. Mais les nuits... Les nuits étaient à nous. Elles étaient... Je n'aurais pas de mots suffisamment forts pour décrire ce que je ressentais lors de nos étreintes. Je les attendais avec impatience, j'en rêvais dans la journée... Nuit après nuit, ma dépendance augmentait, devenant infernale, excessive mais tellement jouissive !
***
Et puis, un soir, quelques jours avant le mariage, alors que j'allais me retirer dans ma chambre après le repas, impatiente de retrouver Lilas après une journée complète privée de mon amour, le Gouverneur me demanda de rester un instant avec lui.
Il m'emmena dans sa chambre, bien plus vaste que celle que j'occupai de manière provisoire évidemment. Cette pensée me fit l'effet d'une douche froide. Dans quelques jours, je quitterai Lilas pour passer mes nuits avec lui. Je serai son épouse, je me devais de lui donner des héritiers, mâles de préférence. Merde !
Quelques sièges étaient disposés autour d'une table ronde. Il s'assit sur l'un d'eux et me fit signe de prendre place en face de lui.
« J'espère que vous vous sentez bien ici, Dame Livia, commença-t-il lentement.
--- Oui, Gouverneur, merci.
--- J'aimerais... Je voulais vous dire que... » Il s'interrompit encore. « C'est tellement difficile à dire ! J'ai perdu ma femme il y a maintenant trois ans... Je l'aimais tant, je l'adorais. Elle a fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui. Sans elle, tout aurait pu être bien différent. » Que voulait-il dire ? Je ne lui avais jamais connu d'épouse... « Je sais que c'est difficile pour vous... Vous marier avec un homme de mon âge, venir en Squilésie, quitter votre famille, vos amis, votre pays... Je comprends parfaitement. Mais ce mariage est pour moi une façon de renforcer mes liens avec votre père, le Sénateur, et par la même avec la Gaellie. Et puis... Ma femme et moi n'avons jamais eu d'enfants et j'aurais vraiment aimé... » Je voyais bien ce qu'il voulait. Mais, je craignais de ne pas en être capable, pas avec lui tout du moins. Lorsque j'étais son esclave, il m'avait souvent baisé, sans précautions aucunes, et je n'étais jamais tombée enceinte... Ce n'était pas bon signe. Il me prit la main doucement, presque tendrement. « Je voulais vous donner ça, » me dit-il en me tendant un joli médaillon. « Il appartenait à ma femme, la douce Nalla. » Il se leva pour me le passer autour du cou. Je regardai le bijou, le saisis entre mes doigts.
« Merci Gouverneur.
--- Pourriez-vous m'appeler par mon nom, Dame Livia ?
--- Bien sûr, Gouverneur Solko. » Je lui souris.
« Tout ira bien, » ajouta-t-il étrangement.
Je le quittai et m'empressai de rejoindre Lilas dans notre chambre. Je la pris dans mes bras, essayant de ne pas penser aux lendemains.
***
La veille du mariage fut une journée bien remplie. J'avais passé pas mal de temps debout, les couturières s’activant sur ma robe pour les dernières retouches. J’avais également mis la dernière main, avec Sestane, à l’organisation du banquet de mariage, donné les ordres aux esclaves... Je rentrai enfin dans ma chambre, fatiguée. La longue robe que j'allais porter pour le mariage était étalée sur le lit, un grand corbeau posé dessus, contraste saisissant de couleurs. Je cherchai autour de moi, mais ne pus trouver comment il était entré.
« Petite humaine ? » C’était l’oiseau... La voix grave, caverneuse se répercuta dans mon crâne, je me figeai. « Penses-tu mériter ce bonheur, petite humaine ?
--- Je... Je ne sais pas, répondis-je à l’oiseau qui croassa alors bruyamment, le bec grand ouvert et ma robe se couvrit lentement de longues éclaboussures de sang rouge sombre... Le corbeau sembla me sourire.
« Tout sera fini demain...
--- Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demandai-je à l’oiseau qui tournait la tête à gauche, à droite, de manière saccadée. L’oiseau croassa à nouveau. Je fermai les yeux puis les rouvris. Mais le corbeau était toujours là, se dandinant sur ses courtes pattes. « Demain, je vais mourir, c’est ça ? Pas de réponse. « Mais pourquoi me prévenir ? Pourquoi me torturer ainsi ? S’il-vous-plaît, emmenez-moi... Ne me laissez pas comme ça... suppliai-je le corbeau.
--- Et tu partirais ainsi, sans dire au revoir à tes amis ? A celle que tu aimes ? Vraiment, petite humaine, tu ne mérites pas cette seconde chance que t’a donné Lakfir, et que je désapprouve grandement.
--- Pourquoi est-ce que je ne la mérite pas ? » commençai-je, agressive. « Tout le monde...
--- Non, pas tout le monde, et surement pas toi ! Dois-je te rappeler les crimes que tu as commis, ici même ? » m’interrompit-il brutalement. Non... bien sûr que non. Il n’avait pas besoin de me les rappeler. L’oiseau me fixa encore un instant puis s’envola dans un bruissement de plumes. Il s'éleva lentement puis sembla s’évaporer dans les airs, de fines volutes noires subsistant un temps dans l'air...
Je m’affaissai lentement contre le lit, sur le sol froid de la chambre, désespérée et restai ainsi prostrée, longtemps, perdue dans mes pensées, cherchant à comprendre... jusqu’à ce que j’entende Lilas crier, que je la sente me secouer.
« Louve, merde ! Réponds-moi !» Je la vis enfin, un masque d'inquiétude sur le visage, elle semblait s’époumoner depuis un bon moment.
« Ça va, Louve ? » me demanda Iris, visiblement inquiète. Je me relevai lentement.
« Louve ? » répéta Iris, avançant sa main timidement. Je regardai la robe, à nouveau intacte...
« Ça va, Iris, ne t'inquiète pas, » murmurai-je, incertaine. J'attrapai sa main, la faisant sursauter et la posai sur mon cœur, comme j'avais l'habitude de le faire. Je n'osai rien lui dire... Le corbeau avait dit vrai, je le sentais, sans pouvoir l’expliquer. Demain, je mourrai donc, Dame Livia aussi probablement. Ce n’était pas, à mon sens, ce qu’avait prévu l’être surnaturel. Le corbeau désapprouvait sa décision et j’étais prise au milieu de leur querelle.
Un froid glacial, qui n'avait rien à voir avec la température extérieure, étreignit mon cœur. Je n’avais pas peur de mourir, je savais bien que cela devait se terminer un jour, même si j’avais espéré bénéficier d’un peu plus de temps. J’avais en revanche peur de ce qu’il allait se passer après : aurais-je l’autorisation d’aller rejoindre ma Lilas dans le monde de lumière ? Probablement pas, j’étais restée si peu de temps ici, trop peu pour changer mon âme... Et demain ? Et si le sang était un le signe d’une tragédie à venir ? Non, je ne voulais pas en être responsable... J’avais pris ma décision : demain, je partirai pour ne pas attirer la mort dans cette demeure